Les tickets de caisse et leurs impacts environnementaux
En France, 12,5 milliards de tickets de caisse sont imprimés chaque année, soit l’équivalent de 150 000 tonnes de papier. Dans le monde, on compte la mobilisation de 25 millions d’arbres, de 18 milliards de litres d’eau et de 22 millions de barils de pétrole pour leur production. Au vu des enjeux environnementaux non-négligeables que les tickets de caisse représentent, nous avons effectué une étude sur cette question dans le cadre de l’unité d’enseignement de master « projet interdisciplinaire en environnement », qui implique 8 formations de biologie, de chimie, de sciences de l’environnement, de géographie, de sociologie et de droit. Nous avons cherché à dégager des réflexions sur les conséquences environnementales et sanitaires du ticket de caisse, et sur différentes alternatives durables pour remplacer ce petit bout de papier.
Si notre étude s’est cantonnée, pour des raisons méthodologiques, au secteur alimentaire, la problématique du ticket de caisse est bien plus large (secteur vestimentaire par exemple). La réflexion peut également être élargie aux billets de transport (bus, métro, tramway, train) et aux reçus divers (parking, reçus de carte bancaire).
Qu’est-ce que le ticket de caisse ?
Le ticket de caisse n’est pas un papier ordinaire. Il s’agit d’un papier thermique dont les écritures se révèlent par la chaleur. Le problème de ce papier thermique est qu’il contient du bisphénol A (BPA).
Le ticket de caisse est-il dangereux pour la santé ?
Le BPA est un perturbateur endocrinien qui peut entrainer des dérèglements hormonaux ainsi que des tumeurs, malignes ou bénignes. Il affecte la reproduction, mais aussi le système nerveux central et le système cardiovasculaire.
Le BPA serait également nocif pour les organismes vivants non-humains, qu’ils soient invertébrés, vertébrés, reptiles ou oiseaux. Selon des études, le BPA aurait pour impact par exemple la hausse de mortalité chez les poussins, la perturbation endocrinienne chez les amphibiens, ou encore la diminution de la qualité du sperme chez les truites.
Pour ces raisons, le règlement européen REACH du 18 décembre 2006 interdit la mise sur le marché du BPA dans le papier thermique à une concentration égale ou supérieure à 0,02% en poids après le 2 janvier 2020.
Les industriels ont remplacé le BPA par des substituts tels que le bisphénol S (BPS) et le bisphénol F (BPF) qui présentent des structures très similaires. Peu d’études ont été menées pour l’instant concernant leur toxicité, mais elles montrent que le BPS présenterait également une activité sur l’équilibre hormonal. Il ne serait pas étonnant qu’ils aient des effets similaires sur la santé.
Le ticket de caisse est-il recyclable ?
Le ticket de caisse n’est pas recyclable à cause de sa taille et de son poids.
Il ne faut donc pas le mettre dans la poubelle de recyclage car le BPA contenu dans les tickets de caisse risque de contaminer l’ensemble des autres éléments jetés. De fait, on peut en trouver dans les lixiviats de décharge qui contaminent les sols.
Le ticket de caisse reste donc néfaste même, y compris dans son élimination car son incinération conduit à des émissions de polluants atmosphériques.
Le ticket de caisse est-il utile ?
Nous avons mené une enquête et interrogé plusieurs clients et commerçants. Seuls 9% des 831 clients interrogés conservent leur ticket de caisse. Pour les commerçants, le ticket de caisse n’a aucune utilité car tout est informatisé. L’utilité du ticket de caisse est donc discutable.
Quelles sont les alternatives possibles au ticket de caisse ?
Nous avons axé notre étude sur trois principales alternatives : le ticket de caisse électronique, le ticket de caisse en papier recyclé, et l’impression du ticket de caisse à la demande.
Le ticket de caisse électronique, est-ce une bonne idée ?
Le ticket de caisse électronique est le ticket de caisse envoyé par le commerçant au client par courriel, par téléphone, ou encore via une application. L’avantage est qu’il n’y a pas de papier, donc les problématiques liées au BPA disparaissent.
Cependant, le ticket de caisse électronique pose des nouvelles problématiques, celle de la collecte et du traitement des données personnelles et celle de la pollution numérique. La pollution numérique engendrée par le ticket de caisse électronique est équivalente à la pollution engendrée par le ticket de caisse traditionnel. En effet, l’envoi de mails et leur stockage nécessitent le fonctionnement de data centers qui ont besoin d’énormément d’énergie et donc polluent beaucoup.
Le ticket de caisse en papier recyclé est-il une alternative durable ?
Concernant le ticket de caisse en papier recyclé, il est composé d’au moins 50% de fibres cellulosiques de récupération extraites des vieux papiers. On les reconnait via le label « FSC mixte » ou « FSC recyclé » inscrit au dos du ticket. L’avantage est que le ticket de caisse en papier recyclé permet une valorisation des déchets papiers, ce qui diminue la quantité de déchets. Mais cette quantité de papier reste très importante.
L’impression du ticket de caisse à la demande est-elle possible en France ?
La question du caractère obligatoire du ticket de caisse se pose aujourd’hui. L’arrêté du 3 octobre 1983 prescrit que le ticket de caisse n’est obligatoire que pour les prestations de services supérieures à 25 euros (TTC). L’exemple typique de la prestation de services est le coiffeur qui effectue un service en coupant les cheveux. Ce n’est donc pas obligatoire pour les prestations de services en dessous de 25 euros, et pour les livraisons de biens (vente de marchandises), quel que soit le montant. Les petits commerçants comme certaines boulangeries ont déjà opté pour l’impression à la demande du client. Les Etats-Unis, ou encore les Pays-Bas l’ont également déjà adopté. Alors pourquoi pas la France ?
Selon notre étude, c’est l’option préférée des sondés (33,5%). Elle permet la réduction du gaspillage sans provoquer un bouleversement des habitudes des clients et des commerçants. Elle permet aux clients qui le souhaitent de recevoir quand même leur ticket de caisse et d’en disposer comme ils l’entendent (comptabilité, vérification d’achat, de garantie).
Deux propositions de loi de 2018 et 2019, déposées par la députée Patricia Miraillès (LREM), vont dans le sens de l’impression du ticket de caisse à la demande. Ces propositions ont également été intégrées dans le projet de loi relatif à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire à l’article 5 bis F. Le dispositif serait lissé sur trois ans, avec imposition progressive de l’impression à la demande : En 2020, l’impression à la demande se ferait pour les achats inférieurs à 10 euros, puis en 2021 pour les achats en dessous de 20 euros, et en 2022 pour les achats en dessous de 30 euros. Le projet de loi est toujours en discussion et est passé en commission paritaire mixte. A l’heure actuelle, il a été proposé que le dispositif soit élargi aux tickets des automates. Nous pouvons espérer que le projet de loi entrera en vigueur prochainement, et que les tickets de caisse inutiles ne seront plus qu’un mauvais souvenir…
Pour plus d’informations : Télécharger l’étude en PDF (59 pages)
ADOU Kablan Paul Xavier(M2 Ingénierie géoscience de l’environnement)
DECHAUX Vincent(M2 Droit de l’environnement, des territoires et des risques)
DILIEN Alison (M2 Ecophysiologie, éthologie et écologie)
HECKMANN Amandine (M2 Chimie verte)
VO Sonia (M2 Droit de l’environnement, des territoires et des risques)
Sous l’encadrement de Benoît PICHON (Maître de conférences à l’Université de Strasbourg – IPCMS Département de Chimie et des Matériaux Inorganiques)
Responsables de l’unité d’enseignement « projet interdisciplinaire en environnement » à l’Université de Strasbourg : Stéphane VUILLEUMIER (Professeur de microbiologie), Marie-Pierre CAMPROUX DUFFRENE (Professeure de droit), Anne-Véronique AUZET (Professeure de géographie), et Maurice WINTZ (Maître de conférences en sociologie)