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Incinérateur de Strasbourg : le grand débat

Retour sur notre conférence du 13 Mai 2017, qui reste toujours d’actualité !

Le devenir de l’incinérateur de Strasbourg actuellement à l’arrêt soulève de nombreuses questions. Santé, fiscalité, déchets, environnement :quels impacts, quels enjeux, quels risques ? Zéro Déchet Strasbourg questionne son dimensionnement, sa technologie, ses enjeux contractuels et fiscaux, ses impacts sur la santé et l’environnement.

4 invités nous ont permis d’exposer ces questions et d’en discuter avec les 120 personnes présentes ce samedi après-midi.

Sophie Rabourdin

Strasbourg Respire
enjeux sanitaires

Sophie Rabourdin, médecin généraliste strasbourgeoise est intervenue au nom de Strasbourg Respire. Mise en avant des principales conséquences sur la santé, dues essentiellement à l’exposition aux Nox (oxyde d’azote) et UFP (particules ultrafine < à 0,1µm), après une explication didactique du fonctionnement de l’incinérateur strasbourgeois.

Chaque français produit 536 kg de déchets par an. 35% de ces déchets sont incinérés. L’incinérateur semble les faire disparaître mais qu’en est-il vraiment  ? Ce traitement des déchets génère des fumées, mais aussi des déchets ultimes hautement toxiques.  Sur une tonne incinérée, restent environ 300 kg de mâchefers et environ 30 kg de Réfioms (Résidus d’épuration des fumées d’incinération des ordures ménagères).

L’incinération se réalise en plusieurs phases. Lors de la mise en combustion des déchets à très haute température (> à 1000°C), des gazs sont émis  : H20, CO2, Hcl, Nox, SO2 et Cov. Ces gazs sont refroidis, puis neutralisés à basse température (entre 600 et 1000°C) par pulvérisation de produits chimiques. A ce stade sont présents des polluants tels que les HAP (hydrocarbures aromatiques polycycliques),, dioxine, furanes, PM, et métaux lourds. En sortie de fours, ces gazs sont filtrés. En résultent les Réfioms. Hautement toxiques, ils sont destinés à être enfouis en décharge spécialisée (pour faire court  : une cuve en béton membranée), représentant un risque de pollution des sols. Les mâchefers, 30% de résidus solides, là aussi très toxiques, sont quant à eux destinés à l’enfouissement. Cependant, selon leur toxicité (, ils peuvent être transformés en matériau routier (remblai, assise de chaussée ou couche de forme).

Vient ensuite le largage dans l’air. Un système de détection permet de surveiller une vingtaine de polluants sur plusieurs centaines. Sont essentiellement émis des UFP et Nox. Les particules ultrafines sont particulièrement inquiétantes  : elles peuvent franchir les barrières biologiques, et se retrouver dans le flux sanguin, distribué ensuite au niveau de l’organisme (on les retrouve même dans le placenta). Ce sont ces particules ultrafines qui véhiculeront les substances les plus toxiques à leur surface, tels que les HAP, métaux lourds etc…

Le Docteur Rabourdin a ensuite exposé les réactions macroscopiques (au niveau de l’organe touché, réaction inflammatoire locale répétée), et microscopiques (réaction cellulaire) liées à la toxicité des Nox et UFP  : pathologies respiratoires, cardio-vasculaires et cancers.

Au niveau cellulaire, le stress oxydatif (déséquilibre entre oxydants et anti-oxydants) peut engendrer athérosclérose, troubles du rythme cardiaque, et majorations des allergies.

L’impact de la pollution de l’air peut se résumer en  : ¾ de pathologiqes cardio-vasculaires pour ¼ de maladies respiratoires. Cela engendre 524 000 décès prématurés en Europe (dont 48 000 en France).

Pour appuyer ses explications, nombres d’études alarmantes. Les études sur les impacts sanitaires des incinérateurs sont rares, par contre il en existe de nombreuses sur les impacts du trafic routier. Les mêmes polluants sont en cause  : UFP et Nox.
Quelques exemples  : augmentation significative des symptômes de bronchiolite et asthme chez les enfants exposés au trafic routier, risque x 3 d’infarctus du myocarde dans les 2h suivant exposition, augmentation des morts subites à moins de 50 m d’un grand axe routier, etc.

Une étude, réalisée entre 1990 et 1999 à proximités de plusieurs incinérateurs, démontre toutefois une augmentation de 10% du cancer du sein chez la femme, de 12-20% des lymphomes NH, de 23% des myélomes chez l’homme, relation positive pour les deux sexes confondus, avec cancer du foie, sarcomes des tissus mous et myélomes (cancers et proximité de vie d’un incinérateur, étude INVS entre 1990 et 1999). Ces cancers sont essentiellement en lien avec les HAP (hydrocarbures aromatiques polycycliques), métaux lourds et dioxines rejetés par les incinérateurs.

Les études sur l’impact des dernières générations d’incinérateurs manquent encore, néanmoins l’impact sanitaire des incinérateurs nouvelle génération est loin d’être négligeable ! Se pose également le problème des contrôles et des mesures, comme l’ont révélé de nombreuses dysfonctionnements dont celui de l’incinérateur de Strasbourg pour lequel les enquêtes réalisées ont démontré des pannes fréquentes des appareils de mesures d’émissions  ! La pollution de l’air est un problème de santé publique, la participation de l’incinération y participe de manière non négligeable.

Vous pouvez voir la vidéo de sa présentation ici .

Jacques Muller, entouré de Michel Knoerr, Sophie Rabourdin,& Thibault Turchet

Jacques Muller
ancien sénateur et maire de Wattwiller, professeur d’économie générale et d’économie agricole et rurale durant plus de 25 ans

L’Eurométropole de Strasbourg assure la collecte, le traitement et la valorisation des déchets produits par les 483 184 habitantes de ses 28 communes. Séché opère la DSP de l’incinérateur depuis 2010 pour 20 ans. L’exploitation a été suspendue totalement en septembre 2016 pour démarrer les travaux de désamiantages.

A sa construction, l’incinérateur était dimensionné pour bruler 350 000 tonnes de déchets par an. En 2011 on observe un tonnage de déchet entrants de 270 000 tonnes, tonnage diminuant nettement depuis puisqu’en 2015 ce sont 205 000 tonnes de déchets qui entrent sur le site. Pour Jacques Muller, les installations surcalibrées empêchent les décisions politique de réduction des déchets. Après travaux l’incinérateur sera dimensionné pour bruler 220 000 tonnes de déchets par an.

Selon lui, les élus peuvent parfois sous-estimer la possibilité de baisser ostensiblement le tonnage d’ordures ménagères résiduelles (OMR) produites. A Strasbourg, les habitant produisent 254 kg d’OMR par an. A Besançon et à Milan, les habitants n’en produisent que 150 kg  ! A Thann-Cernay… 90 kg  !

La collecte des bio-déchets et la taxe incitative sont des leviers qui ont largement fait leurs preuves.

Un argument de taille vient étayer son propos pour démontrer tout l’intérêt de la collecte et du compostage des biodéchets  : traiter les biodéchets en compost coûte 50 à 60 euros la tonne, alors que les déchets traités en incinérateur coûte 90 à 100 euros la tonne en moyenne  ! Transporter, et bruler des biodéchets composés à 80% d’eau semble bien ridicule quand on sait qu’un tiers de nos OMR sont des biodéchets valorisables en compost, fertilisant qui retournerait nourrir nos terres agricoles.

Jacques Muller rappelle que le calibrage de l’incinérateur est essentiel. S’inscrire dans une démarche Territoire Zéro Déchet Zéro Gaspillage et construire un incinérateur d’ancienne génération et surcalibré sont des messages antagonistes.

Un autre argument retient notre attention : le tri à la maison. Le tri industriel ou manuel sur site coûte très cher soit en installation technique soit en main d’oeuvre professionnelle. Le tri à la maison, lui, est gratuit. C’est une collecte intelligente  !

Jacques Muller interpelle aussi l’audience en lui répétant que l’incinération n’est pas une énergie renouvelable. Il souligne aussi que fabriquer du plastique neuf coûte 20 fois plus cher que d’utiliser l’existant pour fabriquer du plastique recyclé. Pour l’aluminium, même constat. L’intérêt de brûler ces déchets paraît alors totalement absurde.

Michel Knoerr

Michel Knoerr
président du syndicat mixte de gestion des déchets Thann-Cernay

A Thann-Cernay, les OMR, les biodéchets et le tri sélectif sont collectés en porte à porte depuis 2010. La redevance incitative y est pratiquée. Ne pas construire l’incinérateur il y a 10 ans, a été un choix coûteux. La commune rembourse 5 millions d’euros suite à l’arrêt des travaux qui avaient déjà démarrés. Mais il aurait fallu dépenser 65 millions d’euros pour finaliser les travaux. La collecte des biodéchets a des motivations financières  : moins de tournées de camion (ramassage bi-mensuel des OMR), moins chère, valorise l’économie circulaire, les biodéchets viennent et repartent à la terre. La collecte de biodéchet c’est également la création d’emploi locaux  : le compostage demande  2 à 3 fois plus d’emploi qu’un incinérateur, le tri en demande 20 à 30 fois plus. Le démantèlement électronique encore plus  !

Le matériel mis en place à Thann-Cernay est très simple  : des bio-seaux ventillés sont vidés dans les bacs, collectés chaque semaine par les camions habituels de collecte de déchets. 40 à 80 kg de biodéchets sont ainsi collectés par habitants chaque année. Cette collecte a un effet d’entrainement  : les habitants sont sensibilisés et améliorent le tri sélectif et les apports volontaires en déchetterie. A Thann-Cernay, 65% des déchets sont valorisés.

Avant 2010, on observait 233 kg d’OMR par habitant par an. Après la mise en place de la taxe incitative, une très nette diminution vient prouver l’efficacité de la mesure  : 88 kg par habitants par an. La facture se fait selon le volume du bac. Les habitants ont le choix (60L, 80L,…). Si la poubelle est trop petite ou trop grosse, on peut passer au volume qui convient mieux.

Thibault Turchet

Thibault Turchet
Juriste à Zero Waste France

Depuis une dizaine d’années, les ordures ménagères résiduelles à enfouir ou incinérer sont en nette diminution en France. Cette diminution est constatée, petit à petit, dans l’agglomération strasbourgeoise.

Aujourd’hui, la réglementation telle qu’issue de la Loi de transition énergétique impose aux collectivités de recycler au moins 65% de leurs déchets d’ici 2025. De nouvelles politiques publiques doivent être mises en œuvre, notamment la redevance incitative, ou la gestion séparée des biodéchets qui constitue une obligation.

Comme cela a été fait ailleurs, il est possible d’accélérer fortement la réduction des déchets résiduels avec ces leviers, et de marquer un grand pas en avant pour réduire le recours à l’incinération. C’est d’ailleurs ce qu’a constaté l’Ademe, l’agence gouvernementale compétente en matière d’environnement, en affirmant que la France n’a pas besoin de nouvelles capacités d’incinération.

Enfin, il revient aux Région, dans les deux prochaines années, de planifier la gestion des déchets sur le territoire, prévoir les usines à créer, adapter ou fermer, et aussi d’animer la montée en puissance de l’économie circulaire (création de nouvelles filières, soutiens aux collectivités, etc.).

Conclusion

Les grandes tendances observées  sont la réduction des déchets depuis la fin des années 2000 (à la source et déchets résiduels) et l’augmentation des déchets collectés avec cependant multiplication des filières. Pour l’Adme, la France n’a pas besoin de nouvelles capacités d’incinération. L’Ademe a publié en avril 2017 un avis portant sur “l’avenir du traitement des ordures ménagères résiduelles” en France. Elle prévoit une réduction importante des quantités d’ordures ménagères résiduelles à traiter (de 17,7 Millions de tonnes en 2013 à 14,7 Mt en 2025), et livre plusieurs recommandations pour que ce tournant soit pris en compte dans le choix et le dimensionnement des installations de traitement des déchets. Cet avis intervient alors que les Régions se lancent, conformément à la loi NOTRe, dans des exercices de planification de la prévention et de la gestion de l’ensemble des déchets, à horizon 6 et 12 ans. Cette planification régionale demande à étudier l’adaptation des usines et nouveaux flux (biodéchetsn pérvention, tarification incitative,…).

Localement, la rénovation de l’incinérateur bouleverse l’économie du contrat initial, mais des solutions demandent à être élaborées. Les performances de prévention des déchets à la source, mais aussi en qualité de tri (verre, sélectif,…) peuvent être améliorées substantiellement.

Le besoin en capacités de traitement, et les outils industriels de traitements semblent être les priorités à définir. Quelle sera la tipologie de déchets à traiter dans le cadre d’une réduction des OMR, due à la qualité de lauréat TZTG de l’Eurométropole ? Quel calibrage pour l’incinérateur ? Quelles autres installations pourraient permettre de réduire drastiquement le nombre de ligne de l’incinérateur ? Méthanation, compostage,… ? Quels financements et quelles politiques de réduction à garder ambitieuses pour la prévention et le recyclage  des déchets municipaux ? Comment s’assurer que l’exploitant ne prendra pas tous les déchets même recyclables (exemple des encombrants qu’on met à l’incinérateur, etc.) pour combler les vides de four liés à une surcapacité ?

Autant de scénarios à étudier pour proposer des solutions adaptées à des prévisions ambitieuses, à la hauteur des engagements pris pour respecter la loi de la T.E, voire pourquoi pas innover et aller au delà de ce que la loi prévoit.

Rappelons les enjeux sanitaires et environnementaux d’un incinérateur situés à proximité immédiate de l’agglomération, dans un cadre naturel protégé (Réserve naturelle de l’Ile du Rohrschollen).

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